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lundi 1 juillet 2024

Espagne : el camino de los ermitages

Cette année, je repars avec mon comparse Enrique.  On en avait marre de jouer petit depuis quelques années. Enrique me dit et si on faisait el Camino de la Plata (un chemin romain antique qui permettait de relier Gijon sur la côte nord à Séville en Espagne)... avec mon chien ? C'est que depuis la dernière fois le gaillard est devenu papa d'un joli cavalier king charles de 7kg.  En comptant sa caisse, sa nourriture et sa garde-robe - car on ne déplace pas un Cavalier king charles sans son imper, sa casquette, ses lunettes de soleil, un collier lumineux, quelques jouets, un gps,...-  ça fait son poids.  Mais ça me plait de tenter l'aventure.

D'abord c'est qu'il faut y aller à Gijon, puis en revenir de Séville.  On a laborieusement élaboré un plan ambitieux et dangereux.  Une première étape pour rejoindre Tarragone, où vit la mère d'Enrique (risque de mort par overdose de tortillas), puis un passage par Madrid où on laissera la voiture (étouffement dans une peña, un club de supporter du real, ou surdité permanente), pour prendre une voiture de loc pour Gijon (pendaison suite au paiement de la caution de malade qu'on a une chance sur deux de perdre), 900 bornes de vélo dans des montagnes (épuisement) puis des plaines espagnoles (déshydratation) et, une fois à Seville (beauté du lieu), rebelote pour revenir à Madrid et rentrer (pendaison, étouffement, overdose).  Pas gagné.

Au départ de Grenoble, E. me propose d'écouter un roman historique espagnol durant la guerre civile de l936 qui semblait intéressant au premier abord.  Mais les longue descriptions de scène de torture, entrecoupée de scènes de torrides conquêtes féminines, c'est lassant en fait.  En plus on finit par s'embrouiller.

Nous voila chez la Mama d'Enrique, qui nous reçoit dans son petit appartement du 3ième à Tarragone, 

très vite envahi par notre matos, ainsi que les kg de nourritures qu"elle a entreposé dans tous ses placards et son frigo et qu'elle nous presse d'emporter

A proximité d'une superbe plage, encore peu fréquentée à cette date


Le lendemain, chargés de victuailles en tout genre, on prend la route pour Madrid, ou Enrique veut absolument assister à la finale de la ligue des champions entre Rrrrrrreal Madrid et Dortmund, dans une Peña (club de supporters).  Malheureusement, tous ses appels pour réserver resteront vains.  Ouf.  On se rabat sur un bar de la banlieue de Madrid.  Il m'a bien proposé d'aller au stade du Real pour voir le match.... sur grand écran (ils sont fou ces espagnols), affublé d'une tenue adéquate. J'ai refusé, j'aime pas moi, les signes religieux ostentatoires.

Stress d'avant match : "tu te rends compte si on perd, on ne sera QUE 14 fois champion, on risque de se faire rattraper par Milan (7 victoires) ou PIRE!!! par Barcelone (5 victoires)"

Remarquez le maillot jaune d'une supporter de Dortmund.  Heureusement, ils ont perdu 2-0 (Dortmund)

Dimanche, premiers tour de roue pour Cooki. On galère pour rejoindre l'aéroport depuis le parking longue durée sur des voie d'autoroute, à contresens, puis on stresse car la voiture de loc est interdite aux chien. On a eu beau lui dire que cooki n'est pas un chien mais le propre fils de Enrique, l'a pas eu l'air ému le loueur.
Mais on fini par arriver à Gijon en fin de journée.  3 jours de voyage.  pas très rentable cette histoire


Et comme il est trop tard pour partir, on s'occupe en s'hydratant en prévision de l'effort à venir.

Lundi on est chaud.   Après deux heures de nettoyage de l'intérieur de la voiture, au scotch américain, on a fini par rendre la maudite caisse.   Je nous ai concocté un petit itinéraire pour passer les premières difficultés en dehors de la nationale Oviedo - Leon.  Il faut en effet traverser la Cordillera Cantabrica et les contreforts des fameux Picos de Europa par le puerto de los señales à 1625m. Il commence tranquille par une voie verte, mais très vite je m'aperçois que les petites bosses ridicules sur mon itinéraire sont en fait des murs de plus de 100m de dénivelé, à 12 ou 13% (Oups, c'est pour ça qu'il me disait qu'au total il y avait 2650m de dénivelé jusqu'au col :-)  J'avais pas prévu et et ça ne rassure pas E. 


En plus, mais ça c'était prévu, il faut se taper 50 km d'une espèce de  vallée de Saint-Jean de Maurienne, voir de Livet-Gavet avant d'atteindre la montagne.

Laviana, première crevaison pour E, depuis qu'il a son vélo, soit 10 ans, heureusement près d'un bar.  
Dave est avec nous*.  

(*) Dave c'est notre saint-patron des cyclo à nous depuis plusieurs années.  En cas de coup dur, on lui chante un petit cantique ("Vanina" par exemple, marche très bien en général) 

il nous a bien entendu encore une fois car on a trouvé un petit coin bien sympa dans cette vallée industrieuse

2ième jour de vélo : on attaque les difficultés



Le premier col de puerto Tarna est encore loin mais les températures sont correctes et le paysages s'enmontagnent.  La montre connectée d'Enrique lui indique qu'il a consommé 5500 kcal hier.  Du coup il passe comme il dit en mode propulsion nucléaire, çad un mix entre coca et aquarius (une boisson énergisante espagnole).





le soir on se pose près du village de Tarna, au pied de la partie raide du col.  Pas facile de trouver un bivouac, tout est clôturé. 

Pour monter à la fraiche le lendemain, on se lève à 6h.  En selle à 7h15, le temps est parfait, cooki porte élégamment son anorak (pour le froid).  A l'assaut du dernier mur.






les dernières centaines de mètres sont avalés vite fait.  Le paysage est grandiose, très ressemblant au Cantal, mais en plus grand et plus désertique.
papa, fiston et tonton
 
Le puerto de los señales s'atteint au bout de quelques km complémentaires.  L'ambiance est fantastique. 





Petite pause  dans la descente pour câliner Cooki, un peu secoué dans son panier.  Il commence à manifester un esprit de meute.  Dès que je suis devant, il hurle. mais si je suis derrière, il déstabilise Enrique à force de vouloir s'assurer que je ne suis pas trop loin.


Embalse de porma.  un lac artificiel, mais de toute beauté

De l'autre côté, la température monte régulièrement au fur et à mesure qu'on descend, jusqu'à devenir légèrement caniculaire.  Fini le vert, les paysages jaunissent.   On se pose en début d'après-midi pour laisser passer les heures chaudes.  Notre plan est de nous rapprocher de Leon pour le visiter tôt le lendemain.  Mauvaise pioche : les fermes se font plus denses et avec elles... les mouches, moucherons et moustiques.  On écluse tous les emplacements repérés par satellite durant la pause, en vain.  

L'emplacement, quoique joli, est proche de la route. Vers 21h, il fait encore 32° dehors avec les mouches ou 45° dans la tente.  On ne s'attarde pas. Le lendemain, on déboule sur Leon.

la ville est superbe, toute imprégnée du chemin de Saint-Jacques de Compostelle, dont on croise les pèlerins dans les ruelles encore endormies.  Alors qu'en vélo on parcours facilement 70 à 80 km par jour, je mesure le courage qu'il faut pour affronter à pied ces plaines sans fin, durant des jours.

Pour tenter de combler un peu notre retard, nous décidons de prendre la nationale N-630 qui relie, par 200 km de lignes droite, Leon à Zamora, puis Salamanca.  Les fonds européens ont permis de construire des autoroutes.  Les espagnols les ont posées à proximité immédiate des nationales.  Conséquence : leurs routes sont vides dès qu'on s'écarte un peu des villes.  Vides, mais pas très intéressantes.

Officiellement sur le camino de la plata

Vers le soir nous nous arrêtons près de l'ermita de la Virgen de la Vega.  Une très vielle église, un endroit plat et ombragé, un point d'eau : parfait pour la nuit. 



Celle-ci sera mauvaise pour E.  Cooki s'habitue difficilement à son voyage.  Il mange peu, voir pas et est un peu amorphe.  Cette nuit il sera malade.  Dans une tente de 2m2, je vous laisse imaginer le spectacle. Et pour rajouter au carnage, dans l'agitation on entend un léger sifflement : le matelas d'E vient de crever, sur la tranche donc non réparable.
Inquiétude du maître au petit matin, pour son ptit "pepèèèèèère"

Il y a un décathlon à Zamora, à 80km... si on prend la nationale.  Cela va nous obliger à faire plus pour sortir de la ville et sa banlieue pour trouver un bivouac.  La chaleur s'annonce forte et les lignes droites et le chien souffrant.  Petite baisse de moral.
On tente bien un petit passage sur le camino de la plata d'origine (piéton) que j'espérais pouvoir suivre en permanence, mais il est très peu roulant, et l'on se rapatrie vite sur le bitume.

Je ne vois rien venir que les nuages qui ondoient et l'herbe qui jaunoie

Quelques beaux passages tout de même dans la journée

On atteint le décathlon vers 20h30.  Il restait un et un seul matelas (merci Dave).   Un parc de la ville de Zamora semble pouvoir nous offrir un abri, mais trop peuplé.  Finalement on s'offrira un second ermitage (Ermita del Cristo del Valderrey) en bordure de la ville et sur le camino.

Une dernière journée chaude est annoncé par la météo espagnole avant des orages.  Les même causes produisant les mêmes effets, on repart à l'aube en direction de Salamanca.  
Zamora de madrugada



le temps se fait menaçant.  Un nouvel ermitage nous tend son porche pour la sieste de mi-journée
Ermita de Nuestra Senora de los Remedios

les cigognes nous observent depuis les toits

On a pris l'horaire espagnol.   

Un petit refroidissement annonce l'orage, qui pourtant ne vient pas.  Cooki reprend des forces. Vers 18h il faut bien reprendre la route si on veut atteindre notre premier camping près de Salamanca.

l'orage finit par éclater, on s'abrite dans une station service bienvenue

Le camping de Salamanca, ne mérite pas de photo.  Coincé entre plusieurs autoroutes, il est bruyant et  uniquement fréquenté par des touristes de passage : quelques cyclo qu'on ne croisera pas, et des motards anglais dont l'un possède LA moto dont rêve E.  Je les laisse débattre des caractéristiques physiques et métaphysiques de la bécane, pendant que je fais le "repas."  C'est rapide : deux menus depuis le début de voyage, le midi on écluse les victuailles de la mère d'Enrique; et le soir pâtes ou soupe. Moi : "t'as le choix entre entre, petit A, des pâtes..." .  Enrique : "petit B! petit B!"


Journée de visite de Salamanca qui est sûrement la plus belle ville que j'ai vue en Espagne.  


Toujours la coquille des pèlerins 

La basilique 






...et après les visites matutinales, la plazza mayor, car E tient à me faire découvrir les patatas bravas qui, d'après lui, sont à l'Espagne ce que la poutine est au Québec et la frite andalouse fricadelle à la Belgique En vrai c'est bon, mais la fricadelle andalouse.... (pardon E.)


puis on s'offre un restau de tapas pas dégeu, au nom typiquement espagnol,  déniché par E qui s'avère exceptionnel.  Le patron, par passion s'est fait tatoué légumes, volailles et même un porc sur le bras.



Faut se rendre à l'évidence, Seville n'est pas à portée de vélo dans le temps qui nous reste, à moins de continuer sur la N-630 ce qui est hors de question.  Nous décidons de bifurquer pour rejoindre Madrid par la région montagneuse d'Avilla.  Moins de km, de lignes droites, plus de montées, plus de temps.


Alba de Tormes

sur les plaines d'altitude avant Avila

La route redevient sublime


vers Pedraza de Alba



Enrique s'est trompé à la sortie de notre pause "de midi" à 17h30 (on est à l'horaire espagnôle). Il s'en est aperçu quand il a vu que la distance pour Alaraz est passée de 16 à 28 km.  Trop de bière sans doute. 
J'ai le temps d'admirer l'église du petit village d'Alaraz et repérer notre prochain ermitage.


El estupendo Ermita del Santisimo Cristo del Monte.  Olé!



L'endroit est encore une fois magnifique. L'ermitage est adossé on ne sait pourquoi à une arène de tauromachie.  La nuit est froide, 4° au levé.  Cookie se réfugie sous les duvets.  Après des premiers jours difficiles, il s'est maintenant bien habitué au voyage et à retrouvé toute son énergie.


Une journée tranquille essentiellement de montée (on repasse un col à 1300 et un autre à 1450) en direction d'Avila. 

Vers Gallegos de Sobrinos


Petite pensée pour José de los sessionnes musicales, dont c'est la région natale.

la région du granite vert.

Juste avant le col, vers Sanchorreja, on se pose à proximité d'un pré peuplé de taureaux patibulaires.  Coockie tente de les affronter crânement.  On en mène pas large.  S'agit pas de se perdre en allant pisser durant la nuit.

12 juin, Avila.  La ville est extraordinaire vue de l'extérieur, mais assez, voir très décevante intra muros.


Cooki est une star internationale.  Pas moyen de s'arrêter sans qu'un attroupement se crée autour de lui : Que guapo!, que lindo!, guapissimo, etc... Je pense plutôt que les demoiselles n'étaient pas intéressées par la visite d'une cathédrale fort décevante.

En sortie de ville on renonce à visiter le monastère de Saint Thomas quand on apprend qu'il abrite la tombe de Torquemada, l'inquisiteur le plus cruel d'Espagne. (En fait, on a préféré s'empiffrer d'un énorme hamburger) Le départ est des plus laborieux.

Depuis Avila la circulation vers Madrid est largement plus importante.  Arrivés au dernier col, on recherche vainement un coin pour poser la tente.  Las, absolument tout est clôturé et on a pas envie de se retrouver dans un pré habité.  On se coltine 20 km supplémentaires. Jusqu'à voir une entrée défendue uniquement par un système de barres au sol.  Pas très rassurés on se pose tout de même au milieu des prés
mais l'endroit est somptueux


sur la commune de Las Naval des Marques



Il nous reste une petite étape pour rejoindre un camping pas loin du terminus du cercanillas, le RER espagnol, dans lesquels vélos et chiens sont autorisés. La perspective d'un camping pourri nous décide finalement de tirer directement jusqu'à Madrid, récupérer la voiture et de rentrer à Tarragone.

Encore reçus comme des roi par la maman d'Enrique!

Fin de ce périple Espagnol, un pays qui mérite vraiment de sortir des zones touristiques!  Seul regret, mon espagnol que je pensais suffisant pour au moins tenir une petite conversation banale était juste déplorable.  A ma décharge, les espagnols parlent à peu près 3000 fois plus vite que les sud américains, que je comprenais plutôt bien. Hasta pronto !